jueves, marzo 11, 2010

L’histoire de José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino






Quand José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino s’éveilla en ce dimanche du 16 mai 1993, il se rendit compte que José Alfredo León Malagón avait découché. Quelques jours auparavant, il avait reçu un appel du département du district fédéral qui le conviait à une réception. José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino n’était pas intéressé d’y assister. Il avait offert à son ami d’y aller à sa place. Il savait aussi que José Alfredo León Malagón avait reçu une invitation depuis un certain temps pour ce même samedi soir, d’un évêque qu’il aimait bien visiter à l’occasion. José Alfredo León Malagón aurait aimé que José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino l’accompagne à l’un ou l’autre des deux endroits. Ce dernier avait répliqué qu’il n’était pas intéressé. Il n’était pas un couche-tard et il préférait aller souper chez sa propriétaire, de qui il avait également reçu une invitation. Ainsi, il pourrait rentrer tôt, ce qu’il aimait bien. José Alfredo León Malagón était parti seul, un peu déçu, sans dire où il allait.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino était contrarié que son ami ait passé la nuit à l’extérieur mais il se dit qu’il attendrait des explications de son ami avant de se laisser aller à la mauvaise humeur. Il n’avait aucune idée de quel côté son ami avait décidé d’aller passer la soirée… et la nuit.
Il se prépara et se rendit au Marché 20 Melchor Ocampo pour ouvrir son commerce.
Dans la matinée il reçut un appel. C’était la femme qui lui louait son appartement, chez qui il était allé souper le soir précédent. Elle voulait savoir si José Alfredo León Malagón était avec lui.
- Non, il n’est pas encore arrivé… Pourquoi voulez-vous savoir ça ?
- Bien ce n’est pas moi, c’est un monsieur… c’est la police qui est ici. Pouvez-vous venir, il semble qu’ils veulent savoir des choses à propos de votre ami.
- Non, je ne peux pas laisser mon commerce tant que José Alfredo León Malagón ne sera pas là. Dites-leur que vous n’êtes au courant de rien et que les affaires de José Alfredo León Malagón ne vous regardent pas.
- Bon, très bien, je vais leur dire que José Alfredo León Malagón n’est pas avec vous.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino raccrocha le combiné et se demanda dans quel sorte de pétrin son ami pouvait bien s’être mis pour que les policiers viennent à son domicile conduire un interrogatoire. Il n’eut pas à attendre bien longtemps pour être fixé. Le téléphone sonna à nouveau, c’était un policier.
- Mon nom est José Guadalupe de la police d’État. Est-ce que vous connaissez José Alfredo León Malagón ?
- Oui, je le connais, c’est mon ami.
- Pouvez-vous me donner sa description ?
- Bien… il est Blanc, il a les yeux verts, il porte une barbe, sa taille est d’environ 1,72 m, je ne sais pas quoi d’autre ajouter. Mais pourquoi Monsieur, est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose ?
- Habitait-il avec vous ?
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino savait depuis longtemps que deux hommes qui habitent ensemble sont suspectés d’être gais et que cela peut leur apporter de graves ennuis. N’ayant pas d’autre choix il se décida finalement à répondre.
- Non, il habitait sur la avenue de la Universidad.
- Où est-ce qu’on peut vous rencontrer Monsieur ?
- Au Marché 20 Melchor Ocampo au du quartier Roma. Mais qu’est-ce qui s’est passé Monsieur, est-ce qu’il a eu un accident de voiture ou quoi ?
- Non, ce n’est pas un accident de voiture. Votre ami a été tué, il a été poignardé à trois reprises au niveau du thorax.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino crut qu’il venait de se produire une terrible explosion et que la nuit s’était faite soudainement. C’est à peine s’il entendit l’agent qui continuait à donner des détails.
- Il gisait face contre terre dans la rue lorsqu’un balayeur de rue l’a aperçu en face du numéro 33 de la rue Calle 16 du quartier San Pedro de los Pinos Delegación Benito Juárez. Nous avons trouvé sur lui des états de comptes avec vos adresses respectives. C’est grâce à ces papiers que nous vous avons trouvé. Pouvez-vous venir au commissariat nous aurons quelques questions à vous poser à son sujet puis nous passerons à la morgue faire l’identification du cadavre.
- Bien… J’ai pas mal de choses à surveiller ici dans mon commerce…
- Préparez-vous, nous passons vous prendre.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino était terrassé. Le policier avait raccroché. Qu’avait-il dit au juste...préparez-vous, nous passons vous prendre ou quelque chose du genre. Il ne pouvait pas abandonner son commerce comme ça, il fallait ranger des étalages, fermer sa boutique alors que la journée s’annonçait fructueuse. Au diable les profits, au diable l’argent. Plus aucune chose matérielle ne comptait à présent. José Alfredo León Malagón était mort… on l’avait assassiné. C’était impossible, il devait y avoir erreur…et pourtant, il semblait bien que ce policier savait de qui il parlait. Qui avait pu faire ça ?
Il ramassait à pleine brassée des disques compact qu’il avait soigneusement étalés et les entassaient pêle-mêle dans des boites. Dans son empressement il en avait laissé échapper quelques-uns par terre. Il s’attaqua à un quartier de boeuf suspendu à un crochet qu’il fallait remettre au réfrigérateur. Il fut soudainement ébranlé par un tremblement convulsif si violent qu’il faillit échapper son fardeau. Dans cette masse de chair sans vie, il eut l’impression de tenir le corps de son amant, inerte, froid, sans vie. Toutes les fibres de son corps étaient secouées par un immense frisson d’horreur. Il aurait voulu crier sa douleur et sa rage, mais aucun son ne réussissait à s’échapper de sa bouche grande ouverte. Un formidable sanglot intérieur et muet agitait sa poitrine en mouvements saccadés comme le bégaiement d’une indicible souffrance. Il crut que son coeur allait éclater, tellement la douleur était intense. Comment était-ce possible ? Un balayeur de rue trouver son ami, son conjoint, son amoureux étendu face contre terre sur le pavé sale au milieu des immondices. Non ! Ce n’était pas possible. Et pourtant...
Les policiers allaient arriver d’une minute à l’autre. Il fallait faire vite. Il revint ramasser deux ou trois disques compacts qui avaient tombé sur le sol. Et cette musique qui lui tapait maintenant sur les nerfs. D’un geste brusque il ferma l’appareil. Il étouffait, il manquait d’air. Il allait et venait comme un automate. Il savait pertinemment qu’il serait tenu responsable du meurtre de José Alfredo León Malagón. C’était toujours comme ça qu’on procédait dans les cas d’homosexuels assassinés. On sautait à la conclusion du drame passionnel qu’on attribuait à la jalousie entre les deux partenaires. On harcelait, souvent jusqu’à la torture le conjoint survivant, pour lui faire admettre le délit et on bâclait l’affaire en moins de deux. Les vrais coupables n’étaient jamais dénoncés et continuaient à commettre leurs forfaits.
***
Le Mexique est un pays riche en culture et en histoire qui remonte bien avant 1519, date qui marque l’arrivée du conquistador Hernán Cortés. On prétend que les peuples indigènes vivaient dans cette région aux alentours de 10 000 av. J.-C. À l’époque précolombienne, de brillantes civilisations se sont épanouies. Entre autres à Teotihuacan, situé dans ce qu’on appelle aujourd’hui la vallée de Mexico, à El Tajin du côté du golfe du Mexique, dans la région d’Oxaca et dans le Yucatan. Le sol regorge de sites archéologiques datant d’une époque bien antérieure à celle où le Vatican menaçait de torture celui qui soutenait que la Terre était ronde.
On dit du Mexique qu’il est un pays de contrastes. Au cœur de la ville de Mexico, on peut voir la Place des trois cultures : (Plaza de las Tres Culturas) qui illustre bien dans l’architecture de 3 constructions, voisines l’une de l’autre, les 3 principales époques successives : précolombienne, coloniale et moderne. Ces passages d'une étape à l’autre ne sont pas survenus sans heurts. Les conquistadores en introduisant le christianisme anéantirent pratiquement à néant la culture aztèque. Les pierres de leurs temples démolis servirent à construire des églises.
Le désordre et les contrastes les plus douloureux qui se vivent présentement sont d’ordre social. La population actuelle est un mélange inextricable de plusieurs races : blanche amérindienne et noire. On retrouve même des races asiatiques car le Mexique importait des Mongols et des Philippins comme esclaves. Mais si l’on se fie à l’encyclopédie Encarta, elle serait composée à 60 % de Métis et 30 % d’Amérindiens. Un faible pourcentage de 9 % tirerait ses origines d’ancêtres européens. Il est permis de penser que ces chiffres représentent également les disparités ou les classes sociales. 9% a un niveau de vie et une fortune comparable aux grands de ce monde. On peut les trouver dans la capitale dans les quartiers de Polanco ou Bosques de las lomas. 60 % représente la classe ouvrière qui gagne un salaire plus ou moins convenable. Le 30 % qui reste doit se contenter de ce qui reste quand il en reste. Ils vivent dans des conditions de vie innommables et subissent l’exploitation des moins pauvres, des plus riches et des pouvoirs en place.
La meilleure chose au Mexique est venue du ciel. C’est son soleil garanti sans défaillance tout au long de l’hiver. La station balnéaire d’Acapulco, sur la côte du Pacifique entre autres, jouit d’une renommée mondiale. On l’a surnommé la Riviera du Mexique. De nombreux hôtels luxueux accueillent les touristes au bord de ses magnifiques plages. On s’efforce de combler les moindres désirs de ces clients étrangers, même si le Mexique doit sacrifier ses filles et ses enfants, garçons ou fillettes. Tout ça fait dire à bien des Mexicains et à José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino en particulier, que le Mexique c’est un bon pays pour les touristes mais pas pour ses citoyens qui doivent y vivre en permanence.
La corruption est rampante, galopante, omniprésente. Elle dispense les promotions et graisse les rouages du système, de la base vers le sommet. Peut-on s’attendre à mieux de la part d’un parti politique demeuré au pouvoir près de trois-quarts de siècle, (1929). Même si le PRI a cédé la place au PAN, les vieilles habitudes font partie de la culture et leurs racines sont profondes.
Avec l’aimable permission d’Amnistie internationale nous reproduisons le texte intégral d’un article recueilli sur Internet le 18 avril 2002. Seule la mise en page a été modifiée :
«Mexique : la crédibilité de l’enquête sur la mort de Digna Ochoa y Plácido entamée par de nouvelles fuites dans la presse (03/02)
Amnistie internationale est préoccupée par l’information selon laquelle, d’après une fuite non officielle dans la presse, le procureur général du district fédéral aurait conclu au suicide dans l’affaire de la mort de Digna Ochoa y Plácido, militante des droits humains de premier plan abattue le 19 décembre 2001.
“ Depuis la mort de Digna Ochoa y Plácido, la crédibilité de l’enquête n’a cessé d’être entamée par des fuites dans la presse semblant indiquer que le procureur général du district fédéral privilégiait la piste d’un crime non politique ”, a déclaré l’organisation. “ Cette dernière fuite nous amène à douter sérieusement de la volonté des autorités de mener dans les plus brefs délais une enquête impartiale, transparente et approfondie, et a suscité douleur et consternation chez la famille, les amis et les collègues de la victime. ”
Dans son incapacité à mener des enquêtes efficaces, le ministère public mexicain cherche souvent à reporter la faute du crime sur la victime plutôt qu’à traduire en justice les vrais responsables. En outre, par le passé, de nombreuses enquêtes très médiatisées ont été noyées dans les rumeurs et les fuites, qui ont détourné l’attention du public et permis aux responsables de s’en sortir sans être inquiétés. “ Il incombe au procureur général du district fédéral de passer outre cette pratique bien établie de l’impunité et de démontrer avec transparence le sérieux de son enquête ”, a affirmé Amnistie internationale.
“ Pour éviter que l’enquête sur la mort de Digna Ochoa y Plácido ne devienne un nouvel exemple de cette triste réalité, il est indispensable que tous les éléments de preuve qui auraient été recueillis puissent faire l’objet d’un examen indépendant ”, a ajouté l’organisation.
Toutes les informations sur cette affaire devraient d’abord être mises à la disposition de la famille de Digna Ochoa y Plácido, ainsi que des avocats du Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro-Juárez (PRODH, Centre des droits humains Miguel Agustín Pro-Juárez), qui l’aident officiellement dans cette affaire. Par ailleurs, des mesures strictes devraient être prises pour empêcher toute fuite non officielle et impossible à contester. Enfin, par-dessus tout, avant de tirer ses conclusions, le procureur général du district fédéral devrait veiller à ce que toutes les pistes aient été soigneusement examinées, en particulier celles qui concernent le rôle éventuel d’agents de l’État dans la mort de Digna Ochoa y Plácido.
“ Le non-respect de ces principes de base laissera planer un doute important sur les conclusions de l’enquête, accentuera de manière injustifiée la détresse de la famille et des amis de la victime, et portera atteinte à l’action essentielle de Digna Ochoa y Plácido en faveur de la protection des droits humains au Mexique ”, a conclu l’organisation.
Complément d’information
Digna Ochoa y Plácido a été abattue dans un cabinet d’avocats de Mexico le 19 octobre 2001. Les tueurs ont laissé une note dans laquelle ils menaçaient de mort les autres militants du Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro-Juárez (PRODH, Centre des droits humains Miguel Agustín Pro-Juárez) s’ils ne renonçaient pas à leur action en faveur des droits fondamentaux.
Digna Ochoa y Plácido était une avocate de renom qui avait reçu plusieurs récompenses internationales pour son action en faveur des droits humains. Elle travaillait depuis de nombreuses années avec le PRODH sur des affaires de violations graves des droits humains impliquant des agents de l’État, dont des membres des services du procureur général et des forces armées. Elle militait pour que les auteurs de ces violations soient démasqués et pour contraindre les autorités à les traduire en justice.
Entre 1995 et 1999, Digna Ochoa y Plácido avait été menacée et attaquée à de multiples reprises. Les enquêtes officielles sur ces différents faits n’avaient rien donné.
Index AI : AMR 41/013/02
Dernière mise à jour: 17 avril 2002»
Dans des conditions semblables, il est compréhensible que certaines personnes désirent ou doivent quitter ce beau pays de soleil pour chercher refuge là où leur vie ne sera plus menacée.
***
À l’adolescence, et peut-être bien avant, José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino avait découvert que son identité sexuelle allait à l’encontre de l’opinion populaire, de l’enseignement de l’église catholique romaine et des autorités politiques et policières tous très machistes selon lui. Il acceptait sa condition tout en sachant qu’il devait se montrer discret s’il ne voulait pas se retrouver sur le bûcher. À l’école, il entendait souvent des commentaires pas trop élogieux. On disait que les homosexuels étaient des pervers, des vicieux ou des malades mentaux et qu’ils iraient tous en enfer. Il s’en trouvait d’autres plus sévères et plus machos pour déclarer qu’ils méritaient tous d’être emprisonnés, fouettés, castrés ou mis à mort.
Autant pour joindre le troupeau que cédant à l’influence de la majorité, ou peut-être bien pour ne pas paraître suspect, il se maria. Selon lui, les homosexuels qui ne voulaient pas être persécutés n’avaient que deux choix : se marier et avoir un ou deux enfants pour faire bonne figure ou entrer en religion. Laissons-le un peu nous raconter un épisode de sa vie :
«Comme il fallait s’y attendre, je n’ai pas pu jouer très longtemps la comédie. Mon mariage n’avait pas duré et au bout de deux ans nous avons divorcé. Comme j’enseignais dans la même école que ma conjointe, le tribunal m’ordonna de ne plus avoir aucun contact avec elle et de garder une certaine distance. Je quittai l’école et l’enseignement.
En 1986, à l’âge de vingt-neuf ans j’avais loué un espace à l’intérieur du Marché 20 Melchor Ocampo dans du quartier Roma dans la ville de Mexico et mis sur pieds un commerce de salaison avec viandes froides et fromages et divers autres articles. Dès mon arrivée, les locataires d’espaces de commerce dans le Marché pour la plupart illettrés, ou sachant à peine signer leur nom, me regardaient d’un drôle d'air lorsqu’ils me voyaient taper des lettres à la dactylo. Il s’en trouva un, un bon jour, qui mit de côté sa timidité et vint me demander si je pouvais l’aider à rédiger une demande pour le renouvellement de son permis. Ce que je fis avec plaisir. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre et au bout de quelques semaines, j’étais devenu le secrétaire attitré de tous ces petits commerçants. Presque tous les locataires de ces kiosques venaient à tour de rôle me demander d’écrire pour eux une demande, soit pour le renouvellement d’un permis d’exploitation, soit pour déplacer un muret, l’installation d’une prise de courant ou tout autre besoin utile au bon fonctionnement de leur commerce.
Au Mexique il y a toujours des demandes officielles à faire auprès des autorités. Dans le cas du Marché 20 Melchor Ocampo, on pouvait vous accorder un permis pour vendre des breuvages glacés, mais vous n’aviez pas l’électricité dans votre kiosque. Une fois que vous aviez obtenu la permission d’avoir l’électricité, vous n’aviez pas le droit d’avoir un réfrigérateur pour conserver vos breuvages froids et vous deviez rédiger encore une demande différente pour avoir le privilège de brancher un réfrigérateur. Toutes ces tracasseries n’étaient en fait qu’une façon détournée d’obtenir de l’argent. Il y avait une somme à payer pour chaque permis bien entendu, et une fois que la démarche était bien engagé, on refusait d’accorder le dernier permis qui vous autorisait à avoir un réfrigérateur. On inventait n’importe quel prétexte pour vous forcer à verser un pourboire plus ou moins substantiel selon votre demande. C’était ni plus ni moins que des exactions économiques de la part des fonctionnaires vénaux.
Dans la grande majorité des cas, ces pauvres gens n’avaient aucune idée comment formuler une lettre de ce genre. Encore fallait-il qu’ils sachent écrire, beaucoup d’entre eux devaient apposer une empreinte digitale en guise de signature. Je ne me faisais jamais payer pour mes services. Donner un coup de main aux plus défavorisés que moi faisait partie de mes valeurs de solidarité, d’égalité et de justice sociale en accord avec mes convictions et mon désir de lutter férocement contre la corruption omniprésente dans mon pays.
J’avais rencontré José Alfredo León Malagón qui était devenu mon associé commercial et avec qui je partageais une vie de couple. En mai 1987, à la suite d’un orage de grêle qui avait causé des dommages au toit du Marché 20 Melchor Ocampo, j’avait été élu président de l’union des commerçants. Comme mon rôle m’appelait à formuler des demandes pour le bien de l’ensemble des locataires, je m’étais fait des ennemis auprès des propriétaires et de l’administration locale. J’avais alors reçu des menaces et l’ordre de quitter le Marché pour 4 mois le temps de la reconstruction. Les autres commerçants pouvaient continuer à vendre leurs produits à l’extérieur du Marché 20 Melchor Ocampo alors qu’on m’interdisait ce droit.
En mai 1989, on me nomma secrétaire à l’organisation et publicité, ce qui impliquait la défense des indiens illettrés du Marché 20 Melchor Ocampo. Je les représentais et les appuyais dans leurs revendications du libre choix d’un autre parti politique que le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Avant mon arrivée, ceux qui préféraient un autre parti subissaient toutes sortes de pressions psychologiques et économiques qui finissaient par les ruiner dans la plupart des cas. Je me rendis bien vite compte que chaque fois que j’empêchais des mesures répressives ou discriminatoires de se manifester à l’encontre d'un Indien, elles augmentaient d’autant sur moi. C’était comme si l’administration avait eu une certaine quantité de pression à laisser échapper. Si je l’empêchais de s’échapper du côté des indiens, c’était moi qui recevais toute la charge.
La veille du drame, comme j’ai déjà expliqué, mon ami et moi avions eu un différent et j’avais fini par lui dire d’aller où il voudrait, rencontrer son ami l’évêque ou bien au département du district fédéral. Le corps avait été trouvé dans un quartier éloigné de l’un ou l’autre des deux endroits ou José Alfredo León Malagón était susceptible d’être allé et ne coïncidait pas non plus à un trajet qu’il aurait pu normalement emprunter pour se rendre à un lieu comme dans l’autre ou en revenir. Ce qui donnait à penser que José Alfredo León Malagón avait pu être entraîné dans cette rue pour y être assassiné, éliminant ainsi tout soupçon d’un attentat dans le voisinage du département du district fédéral ou encore de la résidence de l’évêque.
Après que les policiers m’eurent annoncé la mort de mon ami, je fus contraint d’abandonner mon commerce pour me rendre au commissariat. En cours de route, j’eus à subir l’agressivité des policiers à mon égard. J’étais traité comme un criminel de la pire espèce pour deux raisons : on soupçonnait que la victime habitait à mon adresse, donc nous étions gais. Quand on vit en marge de la société, il faut avoir recours à toute sorte de stratégies pour écarter les soupçons. Alors que nous vivions ensemble, José Alfredo León Malagón avait conservé une adresse et un petit appartement où il gardait encore quelques vêtements et autres petites choses personnelles. À un moment donné, ils semblaient attacher plus d’importance à mon identité sexuelle qu’au fait qu’un homme ait été tué. Nous sommes donc allés à son appartement où ils ont pu constater qu’en effet, il était possible qu’il vive encore là.
Le fait de ne pas avoir pris le meurtrier sur le fait faisait de moi, son conjoint, le suspect numéro un. Heureusement, j’avais un alibi. La veille, j’avais passé la soirée chez mes propriétaires. Il était évident que le vol n’était pas le motif du crime. On avait découvert dans les poches du cadavre, une somme d’argent assez rondelette. Je fus quand même détenu illégalement, rudoyé puis torturé moralement et psychologiquement durant toute la nuit, à tour de rôle, par environ vingt-cinq policiers. On voulait me forcer à admettre un crime que je n’avais pas commis.
En fouillant les rapports d’Amnistie Internationale, on se rend compte que les cas où l’intimidation ou la torture ou les deux ont été utilisées dans le but d’arracher des aveux sont fréquents au Mexique. La police mexicaine fabrique des coupables comme d’autres font des tortillas. De juin 1991 à février 1993, pas moins de onze homosexuels ont été trouvés morts, seulement dans la région de Tuxtla Gutiérrez. La fabrication de preuves ou de témoins n’est pas uniquement pratiquée dans les cas de crimes commis à l’encontre des homosexuels, il est de notoriété publique qu’elle est chose courante. Elle est le résultat d’un machisme et d’une corruption sociale, institutionnelle et culturelle.
Un mois plus tard, lorsque mon père fut atteint d’une tumeur aux végétations adénoïdes on lui refusa d’être admis à l’hôpital de toute évidence à cause de moi. Lorsqu’on l’admit finalement et que je portai plainte pour la façon dont on avait traité son cas, il en résulta du harassement et finalement le renvoi du patient de l’hôpital. Par la suite, une femme médecin appela mon père puis se rendit le voir à la maison pour exiger tous les documents diagnostiques ou tout autre papier qui auraient pu prouver qu’on lui avait refusé les traitements appropriés.
Je suis convaincu que mon père est décédé prématurément le premier juillet 1993 à cause du manque de traitements adéquats. J’étais coupable d’être homosexuel aux yeux des policiers et de l’opinion publique et le gouvernement me considérait comme un communiste parce que j’étais membre actif du Parti de la révolution démocratique (PRD) qui demandait la liberté et le respect des droits humains de base. Les appels de menace étaient de plus en plus fréquents alors que je continuais ma campagne contre la corruption et la défense des droits humains. J’organisait des marches et des démonstrations et répétais les demandes auprès des autorités gouvernementales. Je faisais également des collectes de fonds que j’envoyais au Chiapas ou dans d’autres régions où les droits humains étaient bafoués ou n’existaient tout simplement pas, pour acheter des médicaments ou subvenir aux besoins les plus pressants.
Le 10 octobre 1993, mon commerce fut dévalisé avec la complicité des gardiens de sécurité. On ne pouvait déceler nulle part des traces d’entrée avec effraction. Il faut dire que plusieurs Mexicains sont habiles à crocheter la serrure d’un cadenas avec un bout de fil de fer. Curieuse coïncidence, les gardiens de sécurité qui disaient avoir été là toute la nuit n’avaient rien remarqué d’anormal. Il était évident que ce vol était une autre menace déguisée venant du département du district fédéral qui était propriétaire du Marché 20 Melchor Ocampo. Ceux-là même qui m’avaient invité à une réception la veille de l’assassinat de José Alfredo León Malagón. J’ai soumis un rapport du vol à la police, mais on n’y a jamais donné suite.
Depuis mon arrivée au Marché 20 Melchor Ocampo et mon implication à aider les indiens et les autres petits commerçants illettrés je recevais des appels scabreux et inquiétants. Ils devinrent de plus en plus fréquents et certains contenaient des menaces aucunement voilées du genre : «Je fais partie du groupe (Crazy cat forever). Je vais aller te voler. Je vais détruire ta voiture maudit pédé. Va au diable. Tu es un enfant de chienne, chien, maudit sidéen, maudit nègre, maudit pingouin. Tu vas mourir maudit chien. Chinga a tu madre, (ce qui est la pire insulte qui existe dans la langue espagnole).
Afin que la voix ne puisse pas être reconnue, on faisait appeler des enfants pour passer le message, mais on ajoutait que ces menaces ne provenaient pas de la part d’un enfant mais bien d’un adulte qui me connaissait et qui savait où j’habitais.
Le premier novembre de la même année, je me résignai à vendre mon commerce. J’étais déchiré, mais je n’en pouvais plus. J’avais tellement investi de moi-même dans cette affaire et beaucoup d'argent aussi, mais je n’avais plus le choix, je devais abandonner à cause du nombre croissant de menaces et de pressions de la part du gouvernement et des autorités locales. Je continuai néanmoins à apporter mon aide aux petits commerçants du Marché 20 Melchor Ocampo et à lutter pour la liberté d’identité sexuelle.
En janvier 1994, je commençai à travailler dans une station de radio comme promoteur des droits humains et des homosexuels. J’écrivis également des articles dans différents journaux pour dénoncer les injustices du système mexicain.
Le 5 novembre, Salvador Urbano Cázares, président de l’union du Marché 20 Melchor Ocampo fut assassiné. Le gouvernement, de toute évidence s’appliquait à faire éliminer de plus en plus de personnes et de plus en plus souvent. J’étais en danger à cause de mon implication, mais je continuai à écrire et à poursuivre mes dénonciations à la radio. Les menaces allaient toujours en s’intensifiant.
En décembre 1995, ma situation était réellement devenue très inquiétante, mais je ne voulais toujours pas abandonner la lutte pour les Indiens, les pauvres gens avec peu ou pas de moyens pour se défendre à cause du manque d’instruction et en même temps, je continuais à revendiquer le droit d’exister pour les gais et les lesbiennes. Je n’osais plus sortir ou le moins possible. Il m’arrivait d’être suivi par des individus louches. Mes allées et venues étaient surveillées ainsi que mon appartement. Une fois, on me dit de sortir de chez-moi et de regarder dans la rue, il y avait une voiture de police qui m’attendait. (Tu peux voir qu’on te connaît très bien et qu’on sait où tu habites. Tu vas mourir.) Effectivement, une voiture de patrouille était stationnée à proximité de chez-moi.
Au Mexique, dans bien des cas, ce sont les policiers qui commettent les attentats ou les meurtres. Selon Amnistie Internationale plusieurs cas auraient été répertoriés où tout portait à croire que les victimes avaient été attaquées uniquement à cause de leur identité sexuelle. Je peux citer de mémoire entre autres, les cas de Jordan Gomez tué par balles à Chiapa del Corzo le, ou aux environs du 4 mars 1992 alors que les autorités n’ont pas permis aux groupes de défense des gais et lesbiennes l’accès au dossier. Ou encore Neftali Ramirez, abattu au petit matin du 6 février 1993 à partir d’une voiture. Des témoins oculaires ont affirmé avoir reconnu le tireur qui était au service de la police judiciaire de l’état de Tuxtla Gutiérrez. Il y en a eu beaucoup d’autres à travers le pays. On procédait souvent de la même façon. Les victimes étaient abattues par balles à partir d’une voiture. Ces cas ne faisaient pas beaucoup de bruit et aucun effort n’était déployé par les forces policières pour éclaircir ces meurtres.
Vous n’êtes pas obligé de me croire sur parole. Consultez les sites Internet d’Amnistie Internationale (http://www.amnistie.qc.ca) ou (http://www.algi.qc.ca/asso/amnistie) et vous y découvrirez des histoires qui se sont passées au Mexique, à faire dresser les cheveux sur la tête.
En Mars 1996, après l’assassinat d’autres activistes et d’Estrada Valle dont les crimes étaient d’être homosexuel et d’avoir tenu des séances d’information sur l’utilité et l’utilisation du condom, comme les appels de menace allaient en s’intensifiant en fréquence et en agressivité, j’en conclus que ce n’était qu’une question de semaines ou de mois tout au plus avant que mon tour arrive d’attraper une balle. Il était clair que je n’étais pas de taille. L’exploit de David contre Goliath ne se répéterait possiblement pas. Aussi bien essayer d’endiguer un océan. J’avais déjà pris trop de risques. Au moins, si j’avais eu le sentiment ou l’assurance que ma mort ait pu faire avancer les causes que je défendais si ardemment, l’idée me serait peut-être venue de faire comme ces Palestiniens kamikazes et d’aller jusqu’au bout. Mais je savais pertinemment que ma mort ne serait qu’une autre statistique parmi tant d’autres enquêtes bâclées par la police judiciaire, à moins que le dossier ne soit tout simplement égaré. Je me procurai un passeport et mis de l’ordre dans mes affaires de façon à n’avoir plus aucun lien avec le Mexique. Mais où aller ?
Bien sûr comme une multitude de Mexicains, il m’était arrivé de caresser le rêve américain. J’avais visité les États-Unis une dizaine de fois: Los Anjeles, la Californie, Disney World, Disney Land, la Floride, le Texas le Nouveau Mexique et d’autres endroits encore. À ce moment-là, je n’ai jamais pensé aller aux États-Unis pour y vivre. Premièrement, je ne savais pas si on voudrait m’accorder l’asile, de plus, nous entendions tellement de choses à propos des illégaux mexicains tués directement à la frontière ou exploités honteusement par la suite pour ceux qui parvenaient à passer, que le rêve américain se transformait plutôt en cauchemar américain pour les mexicains dans la plupart des cas. Je n’étais pas intéressé à sauter de la poêle à frire dans le feu.
Étant fils unique et orphelin de père et de mère, je n’ai pas eu à subir des pressions familiales qui auraient pu influencer ma décision de quitter mon pays. Il y a quand même une grande douleur au fond de moi d’avoir dû tout abandonner: ma culture, ma langue, la littérature, les journaux, l’architecture, la nourriture, le climat et combien d’autres choses encore. C’est la même douleur que lorsqu’on vit le deuil d’un père, d’une mère ou d’un être cher. Même si je vis présentement dans un pays où il y a beaucoup plus de liberté et de respect, il y aura toujours un vide au fond de moi. Mes racines sont au Mexique.
En plus d’arracher toutes ces choses de votre coeur, il y a aussi toutes les choses matérielles que vous avez accumulées au fil des ans. Si vous déménagez demain, quand vous rangerez tous vos objets dans des boites vous direz probablement: Mais je ne savais pas que j’avais autant de choses, je ne croyais pas que j’étais aussi riche que ça. Je pourrais dire que j’ai quitté mon pays en état de panique pour sauver ma vie. Combien de choses matérielles j’ai dû abandonner ou brader pour quelques insignifiants pesos. J’avais garni au cours des ans une bibliothèque d’œuvres littéraires de grandes valeurs. J’avais accumulé des centaines de disques compacts de musique classique que j’aimais écouter et combien d’autres choses encore qui m’étaient tellement précieuses. Je suis parti avec quelques chemises dans ma valise et une petite mallette remplie de documents probants que je jugeais indispensables pour obtenir l’asile au Canada.
Je connaissais bien la géographie physique du Canada, la population et tout, mais pas grand-chose de la société. J’avais rencontré une personne qui m’avait dit que dans la région qu’on appelait le Québec, les gens avaient l’esprit très ouvert et que l’homosexualité était très bien acceptée. C’est à peu près tout ce que je connaissais du pays. Comme Montréal était la ville principale de cette région, je pris un billet pour Montréal. Je me rendis compte seulement une fois à bord de l’avion que nous allions d’abord passer par Toronto.
C’est donc dans la métropole du pays que je foulai pour la première fois le sol canadien. De ce fait, c’est là que je dus revendiquer le statut de réfugié. L’avion poursuivit son vol vers Montréal sans moi. Je ne faisais plus partie des passagers car j’avais été retenu par Immigration Canada afin de justifier ma demande. Comme j’étais arrivé dans la nuit, il n’y avait personne de responsable à l’immigration. On me posa quelques questions et on me laissa partir à l’hôtel pour la nuit avec obligation de me présenter le lendemain à la première heure.
Les journées qui suivirent furent réellement éprouvantes. Après quelques heures de sommeil, je revins à l’aéroport. Une dame me fit exposer les motifs de ma revendication d’asile puis elle me dit d’aller attendre dans le corridor. Une heure plus tard, elle me fit revenir pour me dire que mon récit n’était pas cohérent. Je recommençai à nouveau. Elle me retourna encore une fois dans le corridor puis deux heures plus tard, elle me fit signe de revenir. Cette fois, elle m’accusa d’avoir inventé une histoire qui ne tenait pas debout et m’accusa de vouloir entrer frauduleusement au Canada.
Ces interrogatoires se poursuivirent durant trois longues journées, de l’ouverture des bureaux à la fermeture. Je reprenais mon histoire du début. On me faisait sortir pour une heure ou deux, ou le temps d’aller dîner puis je devais revenir et ainsi de suite, puis le lendemain, je me présentais à nouveau pour voir tous mes arguments de la veille détruits à néant. La dame persistait à m’accuser d’avoir menti et me menaçait de déportation. Je voulais lui montrer des papiers pour prouver ce que j’avançais, elle ne voulait pas les voir.
Si ces trois journées furent pour moi un véritable enfer, ce fut en grande partie par ma faute, je l’ai réalisé bien plus tard. La dame cherchait par tous les moyens de me faire dire la principale raison pour laquelle je me sentais persécuté dans mon pays et moi, je répondais toujours en invoquant des prétextes biaisés pour éviter de lui dire que ce qui était à la base de tous mes problèmes était mon homosexualité. J’avais peur d’être refusé en invoquant ce motif alors que si j’avais dis la vérité au début, je suis convaincu maintenant que tout aurait été tellement plus facile. La dame faisait son travail après tout, je le reconnais très bien maintenant. Elle utilisait tous les moyens pour m’arracher la vérité alors que moi je faisais tous les efforts possibles pour la lui cacher.
Finalement, en désespoir de cause, elle me fit rencontrer un agent senior qui trancha bien vite la question. Je pouvais aller où bon me semble au pays à la condition que je reste en contact avec l’Immigration. J’étais accepté en tant que demandeur de statut de réfugié. Il faut ajouter que je ne parlais pas suffisamment l’anglais pour me débrouiller avec toutes ces questions alors je devais avoir recours aux services d’une interprète. Ce qui ne facilite pas les choses et qui ajoute encore au suspense, car on ne peut jamais être certain à cent pour cent que l’interprète traduit fidèlement vos paroles. Elle aurait pu dire n’importe quoi et je ne l’aurais pas su.
Au Marché 20 Melchor Ocampo, j’avais une cliente dont le fils vivait à Montréal depuis quelques temps et elle m’avait donné son adresse. Je l’avais donc appelé de Toronto pour savoir si je pouvais venir chez-lui en arrivant. Je lui avais forcé un peu la main en lui disant que j’avais un cadeau à lui remettre de la part de sa mère. Ce qui était la vérité.
J’ai donc emprunté l’autobus pour me rendre à Montréal. En arrivant je me suis fais conduire à son adresse en taxi. Ce type s’est montré très gentil envers moi. Il m’a offert l’hospitalité pour une quinzaine de jours puis, comme il avait lui-même passé récemment à travers toutes les formalités et la paperasse administrative, il a été pour moi une source d’informations inestimable. Cet homme a été très correct avec moi et ses conseils judicieux m’ont aidé énormément à m’adapter dans mon nouveau pays. J’ai pu trouver un appartement dans le même édifice et me suis installé peu à peu. Je n’ai que des commentaires élogieux à formuler à l’endroit du réseau d’organismes des plus variés mis au service des nouveaux arrivants. Je n’avais jamais espéré recevoir autant d’attention.»
***
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino avait franchi deux étapes importantes : Il avait un toit dans un endroit où sa vie n’était plus constamment menacée puis il était accepté comme demandeur de statut de réfugié. Il n’avait cependant aucune garantie qu’il l’obtiendrait ce statut. Normalement, il faut attendre environ 2 ans avant de l’obtenir. Il était déterminé à s’adapter et s’intégrer le plus rapidement possible dans son nouvel environnement, mais il devait surmonter d’abord un obstacle de taille, la langue. Il avoue que ce fut une grande difficulté à laquelle il a dû faire face en arrivant à Montréal et au Québec.
- Quand on ne peut pas communiquer avec les gens, c’est comme si on avait un mur en face de soi. C’est très douloureux, c’est comme avoir perdu la voix. On a plein d’idées, plein de choses à exprimer et on reste muet. Tout le temps, on fait Aaah, comme pour reprendre son souffle et on ne parvient pas à articuler quoi que ce soit. L’autre personne s’efforce de deviner ce qu’on essaie d’articuler à partir d’un son, elle nous regarde avec un air désolé et secoue la tète. Elle n’a rien compris.
Son métier était professeur et journaliste. Toute sa formation était centrée sur la communication orale et écrite. Il mit donc les bouchées doubles. Il s’inscrit à l’école Yves Thériault pour les cours de jour puis le soir, il allait au COFI qui n’existe plus aujourd’hui. Il s’est donné à fond afin de maîtriser le français parlé et écrit le plus rapidement possible. Il se disait que la langue était la clé qui lui ouvrirait les portes. Autrement, il se verrait relégué à des petits besognes mal rémunérées dans des endroits insalubres ou à des emplois au noir où il n’aurait droit à aucun avantage social: assurance emploi, CSST, rentes du Québec ou fonds de retraite, assurance dentaire ou médicament et combien d’autres encore. En fait, à ces petits emplois abrutissants qu’on réserve aux illégaux, aux analphabètes ou aux déficients mentaux. Il se disait que dans 1 an, 2 tout au plus, il maîtriserait suffisamment la langue pour trouver un travail valorisant qui lui conviendrait.
Malheureusement, il n’avait pas prévu un malheureux accident qui allait démolir sa nouvelle vie. José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino n’avait jamais vu de neige avant de venir au Canada et la seule glace qu’il connaissait était les glaçons qu’on mettait dans son verre. Il était assez malhabile à marcher sur cette surface glissante et il dit avoir chuté souvent. Il se relevait prestement et dans la plupart des cas, son amour-propre avait encaissé le plus durement le choc jusqu’au jour où il se démit un disque dans la colonne vertébrale.
Il a dû subir une chirurgie, mais le mal est toujours là. Il lui est impossible de conserver la même position plus d’une demie heure que ce soit assis, debout ou couché. La nuit, la douleur le réveille et il doit s’asseoir, s’agenouiller ou rester debout. Dès qu’il adapte une nouvelle position, la douleur se stabilise puis diminue lentement. Il éprouve une période d’une quinzaine de minutes ou il est relativement confortable puis la douleur revient. Lorsqu’elle devient insupportable, il doit changer de position à nouveau et le cycle infernal continue.
Ce n’est qu’à l’automne1998 qu’il fut convoqué au complexe Guy Favreau pour l’audition de sa demande de revendication du statut de réfugié. C’était en fait un tribunal composé de deux commissaires désignés par la Commission (CISR) dont l’un agissait comme président. Ils étaient là pour entendre la demande. Un avocat agissait comme agent chargé de la revendication. José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino se présenta accompagné de son avocat et d’un interprète. Après plus de deux longues années d’attente, on allait décider de son sort.
Il y eut tout d’abord un échange de documents et la reconnaissance de toutes les pièces probatoires. On passa ensuite à l’assermentation de l’interprète puis du revendicateur en leur donnant le choix sur la forme : par une déclaration solennelle ou sur la bible.
Conseillé par son avocat, José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino basait maintenant sa revendication sur son identité sexuelle et son appartenance au parti du PRD. Vu que ce dossier lorsqu’il avait été présenté à Toronto ne faisait pas mention d’homosexualité il fallait faire la lumière sur les motifs de ce changement.
- Lorsque vous êtes arrivé à Toronto et que l’agent d’immigration vous a interrogé vous n’avez jamais fait mention de votre homosexualité, pourquoi ?
- De peur. Oui c’est vrai, j’ai caché ça parce que j’avais peur. Je croyais que si j’avouais mon homosexualité on allait m’expulser. Je disais à la dame à l’immigration que mon copain avait été assassiné, mais je n’ai jamais dis que nous entretenions une relation d’ordre sexuelle.
- C’est que vous aviez peur de le dire d’abord mais vous n’avez pas peur de le dire aujourd’hui. J’essaie d’établir pourquoi vous avez eu peur à un moment et que vous n’avez plus peur maintenant.
- La dame était assez sévère et moi, à vrai dire j’avais peur d’elle et honte. Je croyais que je devais obtenir d’abord le refuge politique avant de dévoiler que j’étais gai.
On était septique du fait que José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino ait attendu d'être rendu à Toronto avant d’entrer en contact avec le fils de sa cliente du Marché et il y eut un échange de questions très précises et de réponses pas très convaincantes à ce sujet. Il y eut par la suite un peu de confusion quant aux dates sur les billet d’avion et on ne semblait pas comprendre qu’a partir du Mexique, un citoyen doit acheter un billet aller retour pour venir au Canada.
- Monsieur, quand vous êtes venu au Canada vous avez indiqué que votre seul contact est cette personne à Montréal Pourtant vous avez choisi d’aller à Toronto et le billet d’avion semblait être un billet ouvert il semblerait d’après ce billet que vous avez atterri le 15 mai 1996 à Toronto et que vous vous êtes envolé de Toronto le 24 mai donc 9 jours plus tard ? Mais avec un billet qui était déjà prêt pour Montréal d’après ce que je vois.
- Une tante du coté de mon père qui travaille dans une agence de voyage m’a procuré le billet d’avion à Mexico. J’ai appris que je devais descendre à Toronto une fois à bord de l’avion.
- Le 24 mai c’est un départ vers le Mexique à partir de Montréal. Alors Monsieur si je comprends bien, vous n’étiez pas venu chercher refuge, mais passer quelques jours au Canada.
- À partir du Mexique il faut acheter un billet aller retour, donc il fallait une date de retour, peu importe laquelle.
Est-ce une tactique des avocats pour déstabiliser un témoin lorsqu’ils reviennent sur un sujet passé et formulent autrement une question déjà posée pour amener la personne à se contredire, toujours est-il qu’on revint sur le fait de ne pas avoir déclaré son homosexualité dès son arrivée à Toronto.
- Non seulement vous avez omis de déclarer que vous étiez homosexuel, mais également vous l’avez nié. Lorsqu’on vous demande si vous avez appartenu à un groupe social particulier vous dites: Non, non, non. Mais en revanche vous indiquez que vous avez été persécuté (for political beliefs.) Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose à ça, que vous avez nié par exemple être membre de groupes protégeant, et faisant la promotion des homosexuels ?
- J’ai nié parce que j’avais peur. C’est pour ça que j’ai nié. J’étais convaincu à ce moment-là que si je disais que j’étais gai, cette dame allait penser que j’étais une personne a problème. J’attendais d’être en face d’un tribunal.
- Oui, mais vous dites au début de l’entrevue que les autorités canadiennes tant à l’immigration qu’au tribunal s’attendent à ce que vous disiez la vérité
- Je venais d’arriver du pays sans doute le plus corrompu de la planète c’est pas facile de faire un changement mental sans connaître tous les détails. Il était difficile pour moi de concevoir qu’en l’espace de 5 heures un changement aussi radical avait pu se produire et que je pouvais admettre mon homosexualité sans qu’on mette une escouade de la mort à mes trousses. J’ai pensé qu’avec cette dame qui avait un comportement tellement agressif j’étais mieux d’en dire le moins possible.
- Monsieur, vous êtes un spécialiste en quelque sorte des droits des homosexuels au Mexique puisque vous avez participé à des émissions de radio, vous avez écrit des articles à ce sujet il est difficile pour nous de comprendre qu’à partir de cette position d’expert, de spécialiste du sujet vous ayez choisi le Canada qui est un pays démocratique et dans lequel les droits des homosexuels sont respectés. Alors en tant que journaliste il me semble qu’avant de partir vous deviez savoir que vous aviez choisi un pays ou l’on respecte les droits des homosexuels
- Oui Monsieur, je répète la peur que j’ai éprouvée était plus grande que les connaissances que je pouvais avoir. Avec tout le respect que je devais à cette dame je savais à ce moment là que j’étais en en face d’une bureaucrate Je ne savais pas qu’elle avait le pouvoir de prendre une décision. Je ne suis pas un spécialiste des droits de la personne. J’ai appris l’humanisme à partir de la littérature classique et je suis devenu un défenseur empirique dans la pratique.
Le président dut intervenir pour mettre fin à des questions qui ne menaient nulle part et qui avaient occasionné des interventions de l’avocat de José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino à quelques reprises. Il demanda de passer outre à la première revendication faite à Toronto et s’en tenir à celle qui était faite ce matin.
- Donc aujourd’hui comme homosexuel, qu’est-ce que vous craignez si vous deviez retourner au Mexique ?
- Je voudrais être respectueux dans ma réponse. Est-ce que je peux dire que mon conjoint, on l’a assassiné et après avoir reçu autant d’appels de menaces il est évident que le Mexique est un pays barbare, sauvage…
- Qu’est-ce qui va vous arriver si vous retournez. Ne nous donnez pas l’histoire du Mexique, le Tribunal a une connaissance spécifique du Mexique. Contentez-vous de répondre à une question simple. Qu’est-ce que vous craignez vraiment.
L’avocat de José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino intervint :
- Cher confrère je voudrais faire une petite remarque au tribunal Est-ce qu’une personne doit parler de sa crainte je pense qu’il y a un facteur psychologique important. Je vous ferai remarquer que Monsieur ici est un diplômé en communication, maîtrise parfaitement la langue latine c’est un professeur. Je crois qu’il faut être respectueux de la personnalité du demandeur. Je pense que le tribunal, s’il a une connaissance spécifique de ce qui se passe au Mexique n’a pas une connaissance spécifique du cas de Monsieur et nous sommes aujourd’hui dans une audience pour faire la lumière sur tous les faits et j’estime que la crainte du retour, la crainte raisonnable, s’exprime par un témoignage. Alors laissez cette fois-ci Monsieur répondre et je crois que le Tribunal va être en mesure d’évaluer la sincérité de cette crainte qu’a Monsieur par des événements qui l’ont touché personnellement.
Il s’ensuivit un échange de propos acides entre les deux avocats et encore une fois le président dut les ramener à l’ordre. Il faut dire comme on verra par la suite que José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino, très certainement convaincu du bien fondé de ses explications s’égarait un peu des questions, ce qui avait pour effet d’indisposer l’avocat davantage. Il poursuivit son témoignage
- Quand ils ont tué mon conjoint, j’ai été arrêté de façon illégale et il est arrivé un journaliste il m’a dit: mettez-vous-là il m’a pris une photo, il m’a dit: C’est vous l’assassin, le criminel. Plus tard j’étais assis, il est arrivé un agent, il m’a demandé : Où est la personne qui a pris la photo ? Il a pris le film et il a dit : Celui-là ne va pas paraître dans le journal. Les primeurs dans le cas des gais, d’habitude on cache ça.
Le président intervint à nouveau :
- Monsieur, je comprends ce que vous expliquez là, les événements passés et nous avons pris connaissance de ces événements. Ce que l’agent chargé de la revendication vous demande ce n’est pas ce qui s’est passé c’est ce que vous craignez qui vous arrive si vous retournez au Mexique. Quelles sont précisément les choses que vous craignez qu’il vous arrive si vous retournez au Mexique.
- Ils vont me tuer.
- Qui va vous tuer ?
- Je ne pourrais dire avec exactitude qui ou comment. Ce que je sais, c’est qu’il y a des groupes, même à l’intérieur de l’Église catholique, des gens puissants qui font exécuter des tueries dans les rues. Même une personne gaie qui n’ouvre pas la bouche risque d’être tué si cela se sait. Une personne qui pense et qui défend les droits des faibles et des homosexuels, il est condamné.
- Alors selon vous, vous courez le risque d’être tué.
- Oui bien sûr
- Parce que vous êtes un défenseur des droits des gais ?
- Pas seulement ça, j’étais aussi le défenseur des Indiens.
On en arriva ensuite à des questions relatives au service militaire que José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino n’avait pas fait. Là aussi il y eut quelque confusion dans l’interprétation de différents documents qui n’avaient en somme aucun rapport avec la demande du statut de réfugié. Le président suspendit alors l’audience.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino était très nerveux. Avait-il bien répondu ? Il avait dit la vérité, ça il en était certain. Il s’était bien rendu compte qu’à chaque fois qu’il avait ajouté des commentaires à ses réponses, il avait indisposé l’agent et même le président. Est-ce que cela allait jouer contre lui ? Son avocat essaya de le réconforter de son mieux le temps que les deux commissaires délibérait sur son sort. Finalement, après une éternité qui avait duré à peine quelques minutes, le président annonça la reprise de l’audience :
- Après délibération avec mon collègue commissaire, le tribunal est prêt à rendre sa décision. Malgré certaines contradictions dans la preuve documentaire et la preuve testimoniale le tribunal reconnaît que Monsieur José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino peut avoir une crainte fondée de persécution dans son pays principalement pour son appartenance à un groupe social dont la preuve documentaire nous indique qu’il est persécuté. Le tribunal prend note que l’ami de Monsieur de Calimaya a été assassiné, que Monsieur a participé a des émissions de radio, a écrit des articles, en conséquence s’est fait connaître comme une personne qui défendait les droits des homosexuels et les droits des personnes défavorisées. En conséquence le tribunal accorde le statut de réfugié.
- Merci.
- Gracias.
- L’audience est levée.
C’est avec un grand soulagement que José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino quitta le Complexe Guy-Favreau ce jour-là. Il était exténué. Obsédé par la crainte et les doutes, c’est à peine s’il avait pu fermer l’œil la nuit précédente. De plus, lui qui ne pouvait pas demeurer dans la même posture plus d'une demie heure, n’avait pas pu bien entendu s’agenouiller ou se coucher durant l’audience. Il souffrait atrocement mais il était heureux.
***
Bien qu’il ait été professeur d’histoire et qu’il s’était toujours intéressé à la géographie, il était vrai qu’il ne connaissait pas grand-chose du Canada. La capitale, bien sûr, et la population, mais ses connaissances étaient très limitées. Il avait entendu dire une chose, ou bien, l’avait-il lu quelque part, que le Canada était encore une colonie anglaise, qu’il y avait les Français et les Anglais et que les Anglais étaient les méchants. Il savait qu’au Canada et particulièrement au Québec, la société acceptait les gais. Mais en ayant le Mexique comme point de référence, il ne pouvait pas s’attendre à une aussi grande ouverture d’esprit. De là la bourde qu’il avait commise à Toronto et qui lui avait attiré tellement de problèmes à cause qu’il avait une peur bleue d’admettre son homosexualité à la dame qui l’avait harcelé durant 3 jours. Il reconnaît aujourd’hui qu’elle ne faisait que son devoir et de son mieux pour déceler les faux réfugiés qui s’inventent des histoires à dormir debout ou encore les criminels et les terroristes.
Pour les Mexicains, la référence est toujours les États-Unis. Ne sachant pas que les États-Unis accordaient le refuge à des Mexicains. Il ne lui était jamais venu à l’idée d’aller vivre là-bas, car l’image qu’il avait de ses voisins du nord en était une d’extrême violence à l’encontre des Mexicains qui tentaient de franchir la frontière. Les médias faisaient état de 3 ou 4 personnes tuées chaque semaine et ceux qui s’en sortaient devaient vivre de façon illégale toute leur vie car on ne leur accorderait jamais le statut de réfugié ou la résidence et encore moins la citoyenneté. Il avait entendu dire que les plus futés ou ceux qui avaient de l’argent achetaient leur statut. À ce qu’on disait, il y aurait des réseaux organisés qui fournissaient des cartes de sécurité sociale ou toute autre sorte de papiers officiels pour légaliser, entre parenthèse, votre situation si vous étiez prêt à payer le prix.
Suite à cette malencontreuse chute, son handicap l’empêche malheureusement de s’intégrer dans le milieu du travail ou des études. Il se considère tout de même bien intégré à la société canadienne et montréalaise. Il regarde ce qu’il y a de beau autour de lui et il se sent bien et en sécurité. Il ne veut pas être un de ces immigrants ou de réfugiés qui rabâchent continuellement des : chez-nous c’est comme-ci, chez-nous c’est comme ça et qui ont un blanc de mémoire total en ce qui concerne tous les inconvénients de leur pays d’origine. Il sait que le Mexique pullule de plages de sable blanc que les touristes aiment bien fréquenter. Mais justement, les plus belles plages ont été exploitées souvent de façon abusive pour les mettre à la portée des touristes qui ont les poches pleines de dollars, alors que la majorité des citoyens du pays n’ont pas les moyens d’en profiter. Il cite Acapulco comme exemple où, le long de la plus belle partie de la baie, on a construit de grands hôtels : Hyat Regency, Sheraton, La Palapa et autres, alors qu’à l’autre bout de la baie, en approchant le port, c’est là où les petites gens peuvent aller se baigner. L’inconvénient, c’est qu’il y a un égout à ciel ouvert qui descend de la montagne, traverse la plage et se déverse directement dans la mer. Il dit avoir rencontré des gens qui critiquaient la paperasse administrative relative aux diverses étapes avant d’obtenir la citoyenneté. Bien des fois, ajoute-t-il, ces gens viennent d’un pays qui n’accorde jamais la citoyenneté à un étranger. Quel que soit le papier que vous essayez de vous procurer auprès d’un fonctionnaire, il vous faudra des années à l’obtenir à moins de glisser une poignée de billets dans le creux de la main de la bonne personne.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino n’est pas retourné au Mexique depuis qu’il est arrivé ici il y plus de 6 ans. Il aimerait peut-être retourner un jour pour visiter quelques amis et un oncle, mais pour y vivre, jamais. Il avoue être allé d’un extrême à l’autre. Au Mexique, raconte-t-il, on vit dans une société contrôlée de toute part: Comment pouvez-vous exprimer vos opinions politique, quand il n’y a qu’un seul parti. Ce n’est que depuis l’élection de Vicente Fox à la tête du Parti d’Action Nationale PAN qu’une nouvelle association politique a réussi à prendre le pouvoir.
- Ce n’est guère mieux qu’avant dit-il, peut-être pire, même. C’est un parti d’extrême droite qui prêche le néo-libéralisme et démontre un fanatisme religieux, comparable au Ku Klu Klan. C’est une dictature. Le gouvernement contrôle tout. Vous n’avez pas le droit de penser. S’il vous arrive de douter ou de penser autrement que ce que le gouvernement vous dicte, tout de suite vous êtes suspect et on vous garde à vue. Il est certain que du fait de mon allégeance au PRD, j’étais ciblé. Tous ceux qui n’étaient pas membres du PRI l’étaient. Là-bas, la femme n’est pas maître de son corps puisqu’elle n’a pas droit au contrôle des naissances sous peine d’aller en enfer, ou à l’avortement, sous peine d’aller en prison et de plus, personne n’a le droit de respecter son identité sexuelle si elle va à l’encontre de la mentalité machiste répandue et maintenue avec le support de l’Église catholique. Ils maintiennent le peuple dans l’ignorance pour mieux le contrôler. Quand les lois ne suffisent pas, ils n’hésitent pas à utiliser la violence. Les autorités font de la société mexicaine une société obscurantiste hermétique qui n’accepte et ne tolère rien, à moins que le gouvernement y trouve son profit. Tu restes dans le moule ou tu meurs. Ici, on m’a dit que Pierre Elliot Trudeau avait dit alors qu’il était premier Ministre du Canada, que le gouvernement n’avait pas d’affaire à s’ingérer dans les chambres à coucher. Quand on vient du Mexique et qu’on apprend ça, on se demande si on est sur une autre planète. Là-bas c’est la corruption absolue, ici c’est le respect absolu.
On peut constater par son discours que José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino en a gros sur le cœur. Il s’enflamme facilement et a le verbe facile quand il est aiguillonné par les injustices et le non respect des droits de la personne. Et à ce sujet, il dit avoir un grand reproche à faire à la société canadienne et au gouvernement, mais il hésite car il reconnaît que cela peut paraître tout à fait illogique venant de quelqu’un qui a fui son pays à cause d’un manque d’ouverture d’esprit et de tolérance.
- La dernière chose qu’on respecte ajoute-t-il c’est la culture des deux peuples fondateurs. Les gens entrent à pleine porte en provenance de la Chine, du Pakistan, du Vietnam, de l’Amérique Latine et du Mexique dont je suis, et peu sentent le besoin de s’intégrer. Hydro-Québec fournit des gabarits pour interpréter les factures de consommation d’électricité en quinze langues différentes au choix du consommateur. Chacun a son émission de radio ou de télévision dans sa langue. Ce qu’il trouve curieux et qui l’agace un peu c’est justement que les conflits semblent se situer aux deux ordres de gouvernements. Ici au Québec, on surveille avec un ruban à mesurer les panneaux publicitaires pour s’assurer que le texte anglais soit plus petit que le texte français alors que la taille d’un texte arabe a une nette prédominance sur un panneau voisin et personne ne semble y accorder d’importance. Dans le reste du pays, c’est l’inverse et c’est le fait francophone qui est malmené. De la même façon, on respecte toutes les religions, ce qui est bien, mais il ne faut pas exagérer.
Il fait remarquer que les intégristes se servent de la religion pour imposer des coutumes ou des tenues vestimentaires. Il cite la Burka que les Talibans ont imposé aux femmes afghanes comme un bel exemple de fanatisme sous le couvert de l’islam. Il dit avoir rencontré sur la rue une personne tellement recouverte de tissus noir qu’il lui a été impossible de savoir si c’était un homme ou une femme. La religion, c’est une chose, ajoute-t-il, mais l’interprétation, c’en est une autre.
- À ce compte-là, ici au Québec, on pourrait exiger le port de la tuque et de la ceinture fléchée. Bien au contraire, on a enlevé les crucifix des écoles parce qu’ils étaient le symbole religieux du premier peuple fondateur afin de ne pas choquer les susceptibilités des Juifs, des Musulmans ou des athées. On a vu un Sikh joindre les rangs de la Gendarmerie Royale et refuser de porter le chapeau qui fait pourtant partie de l’uniforme. On s’est opposé assez mollement à sa demande de sorte que cet homme continue à porter son turban avec la tunique rouge. Pourtant, le policier en tunique écarlate et le chapeau de scout est un symbole canadien connu et reconnu à travers le monde au même titre que l’unifolié. Doit-on s’attendre à voir un jour sur le drapeau canadien l’étoile de David d'un côté, le croissant islamique de l’autre et la swastika entre les deux ? Que dire encore de cet adolescent sikh de douze ans qui porte un kirpan pour aller en classe alors que le port des armes blanches est défendu par les lois. Les parents et amis disent qu’ils veulent vivre ici en harmonie dans le plus beau pays du monde. Est-ce à dire qu’ils vivront en harmonie aussi longtemps que la société d’accueil s’humiliera et rampera devant eux comme un chien battu pour combler tous leurs caprices ? Va-t-on poursuivre un médecin en justice en invoquant la charte des droits et libertés parce qu’il refuse de pratiquer l’excision ou l’infibulation sur une fillette de 5 ans. Çà aussi, à la rigueur, on peut invoquer que c’est une coutume, une tradition ou même un rite religieux. Je sais que cela peut sembler contradictoire de ma part d’avoir fui un pays parce que je considérais être brimé dans mes libertés et du même souffle reprocher a mon pays d’accueil d’être trop ouvert. Les extrêmes ne sont jamais souhaitables. La vérité et le bon sens se situent toujours quelque part près du milieu selon Aristote.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino pourra-t-il jamais se débarrasser de cette horrible vision du corps nu de José Alfredo León Malagón poignardé exsangue, figé par le rigor mortis étendu sur une table froide à la morgue. Ce corps, qu’il avait tenu dans ses bras, qu’il avait caressé et qui lui avait rendu la pareille. Ces beaux yeux verts dans lesquels il avait si souvent plongé son regard comme dans une mer calme et profonde pour scruter l’intelligence, la subtilité du raffinement et l’âme de l’homme qu’il aimait. Allait-il jamais pouvoir se défaire de la rage furieuse qu’il avait ressentie à ce moment-là contre la bêtise humaine qui leur avait refusé le droit de s’aimer. Il avait maudit ce jour-là les sociétés bigotes et les religions obscurantistes et arriérées qui refusaient de reconnaître ce qui existait depuis les débuts de l’humanité.
José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino avoue que sa personnalité a changé complètement suite à la persécution et aux événements qu’il a vécus. Il avait toujours été un intellectuel qui voulait aller un peu plus loin, en apprendre davantage, perfectionner ses connaissances, que ce soit en littérature ou en musique. Aujourd’hui, il a perdu le goût de lire. Quand il le fait, il a de la peine à se concentrer. Autant il aimait la musique et il l’écoutait en connaisseur. Il pouvait faire la différence entre l’interprétation d’une pièce dirigée par Herbert von Karajan ou Sir Neville Marriner alors qu’aujourd’hui il n’est plus qu’un auditeur passif et distrait. Il éprouve également beaucoup de pertes de mémoire.
Il a tellement reçu d’appels où on le menaçait de mort qu’il en est venu à la souhaiter comme une délivrance. S’il entend quelqu’un monter dans l’escalier vers son appartement, il pense que c’est quelqu’un qui vient pour l’assassiner. Si quelqu’un jette les yeux sur lui dans un endroit public, il se sent surveillé et se dit que cette personne a pour mission de l’abattre. Sur l’autoroute, il regarde les véhicules venir en sens inverse et voit ce camion faire une embardée, traverser le terre-plein et venir faucher leur voiture de plein fouet. Il a constamment un sentiment de mort à l’intérieur de lui. Il se sent comme une coquille vide qui déambule sans but.
Il explique qu’un détail insignifiant peut lui faire faire un bond par l’imagination et le précipiter dans une situation dramatique qu’il a éprouvée antérieurement. Une voiture de police le renvoie à ce parcours dans les rues de Mexico lorsque les policiers l’ont amené pour l’interroger suite à la mort de José Alfredo León Malagón. La sonnerie du téléphone peut évoquer les appels de menace. Une senteur, une couleur, le détail le plus banal peut servir d’élément déclencheur pour provoquer les pires cauchemars et lui faire revivre bien éveillé les situations tragiques qu’il a vécues. Dans ces moments il est projeté complètement hors de la réalité. C’est comme un film en accéléré où le son aurait été amplifié cent fois. Il aura les mêmes réactions physiologiques qu’au moment de l’événement : sudation, respiration accélérée, dilatation des yeux, crispation des muscles. Il revit réellement la situation. Quiconque assiste à ces transformations physiques pourrait croire qu’il est devenu fou et lui-même se pose sérieusement la question.
Ce sont là des symptômes du stress post-traumatique. Ce terme a été inventé suite à la guerre du Vietnam afin de décrire les symptômes présentés par les militaires qui avaient vécus des situations périlleuses au cours desquelles ils avaient cru leur vie en danger. Les pompiers, les policiers, les ambulanciers, enfin, tous ces gens qui ont vécu des situations tragiques et surtout qui ont craint pour leur vie pour une période plus ou moins prolongée sont à risque ou en sont victimes.
En dépit de tous ces inconvénients, José Francisco Gilberto Escobedo Mena y Pino est maintenant citoyen canadien et soutient que le Canada, est le meilleur pays au monde.

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